Le design d’expérience ludique : outil de motivation ou de manipulation ?
Le jeu comme moyen de contrôle ou d’émancipation.
Le jeu, une un fragile équilibre entre liberté et incitation.
L’une des caractéristiques du jeu « pur » est d’être un espace de liberté.
Liberté dans un cadre, incertitude du résultat, possibilité de jouer, tester, explorer.
Un espace déconnecté du monde, dans lequel rien n’a de conséquences. Huizinga parle de « cercle magique du jeu »
Quand on parle de serious games ou de gamification, c’est différent.
Dans ces pratiques, le jeu peut avoir une finalité : transmettre un message ou faire passer à l’action.
Dans ces contextes hybrides, dans certaines de ses caractéristiques, le jeu peut devenir un outil très cadrant : définitions d’objectifs, découpage en boucle « objectifs, résultats, récompenses », nudges, points, badges, classements.
Des méthodes que je peux parfois trouver très « contrôlantes », avec une incitation forte et moins de liberté pour le public cible.
L’éthique dans la création d’outil ludique :
Souvent, quand on s’interroge sur l’éthique du design d’un outil ludique, on pense surtout à sa finalité.
L’est elle dans une logique de bien commun, de bénéfices pour les individus ou pour l’environnement.
Mais on peut aussi questionner l’éthique même des méthodes utilisées, est-ce que la fin justifie les moyens ? Est-ce que c’est OK de persuader, d’inciter fortement, de manipuler, même pour une bonne cause ?
Le paradoxe du brocolis au chocolat :
Éric Sanchez et Margarida Romero dans « apprendre en jouant » utilisent la métaphore du chocolat sur les brocolis, pour illustrer qu’avec une gamification de « surface » de l’apprentissage, on peut faire manger des brocolis, sans faire vraiment découvrir apprécier ce légume.
Je pense que c’est l’un des risques d’une gamification trop basée sur les quêtes, objectif, points, la mécanique et structure de jeu.
On peut donner de la structure, de l’excitation, de la complétion du jeu, sans vraiment donner de sens et de liens humains.
On peut provoquer un comportement, sans vraiment l’implanter durablement, provoquer sa compréhension ou son appropriation.
En définitive, la fin justifie elle les moyens ?
Je vois ici sur nos pratiques du design ludique, une tension marquée.
Faut-il concevoir des outils ludiques qui permettent de provoquer des actions précises ? – et qu’on pourrait ranger dans la grande catégorie du « design persuasif », avec les nudges et autres outils de design comportemental.
Faut-il se privilégier de créer des terrains de jeux et d’émergence, sans pouvoir promettre ou prévoir ce qui va en découler ? – avec une approche qu’on pourrait qualifier de « playful design »
Je pense que cela dépend probablement du contexte précis, mais qu’il y a un vrai enjeu à développer une approche durable, soutenable, et qui connecte vraiment les individus à a la réalité du sujet, de son pourquoi et de ses causes profondes.
Peut être pour une phase de découverte d’une application, c’est très bien d’avoir un tutoriel, très guidant qui nous tient par la main.
Mais que pour d’autres sujets, comme encourager la marche, par exemple, il vaut mieux créer des envies de marcher, par des contextes, des propositions d’activités collectives, des espaces invitants et sécurisés, une politique différente dans la gestion de l’espace urbain, que par la carotte des points, badges, classements et récompenses.
Je ne suis qu’au début de l’exploration de cette tension entre design ludique qui « contrôle » ou qui « permet l’émergence », mais j’ai vraiment d’explorer les limites et possibilités que chacune des voies ouvre.
Et choisir ce que je veux faire, et ce que je ne veux plus encourager.
Michael
Merci de partager cette réflexion. C'est très inspirant.
Super intéressant. Merci pour ce partage de réflexions sur le sens des méthodes de gamification.